Pourquoi attendre 6 ans pour apprendre à lire ?

Ou comment préparer les enfants de maternelle à apprendre à lire ?

Cet article est une synthèse de la démarche, proposée par Françoise Boulanger, pour permettre à des enfants de 2 à 5 ans d’apprendre à lire de manière « naturelle », ou au moins de s’y préparer.

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L’auteur part du principe que l’enfant peut commencer à apprendre à lire aussi naturellement qu’il a appris à parler et à marcher.

“L’apprentissage naturel de la lecture tel que nous le proposons peut être comparé à l’élaboration d’un puzzle. Des pièces se mettent en place non pas de manière ordonnée, selon une manière préétablie (comme dans une “méthode” de lecture), mais un peu partout à la fois. Plusieurs parties sont travaillées simultanément pour finalement former un tout.” Lire à 3 ans, p.131

C’est une démarche qui respecte le processus naturel d’apprentissage et le fonctionnement de la pensée de l’enfant :

  • L’enfant mémorise très facilement des mots auxquels il est attaché affectivement, des mots qui sont intéressants à ses yeux.
  • Lorsqu’il a mémorisé un capital de mots suffisant, il commence à comparer les mots et à remarquer des ressemblances.
  • Il apprend spontanément par inférence inductive : il a besoin d’exemples pour comprendre une notion.

Partie 1 – Lire des histoires passionnantes

“La moitié de l’apprentissage de la lecture consiste à écouter des histoires lues.”

Il s’agit pour l’enfant de s’approprier le langage écrit qui est différent du langage oral.

“Le vocabulaire, la syntaxe, les expressions acquises ainsi lui permettent de comprendre et d’anticiper les mots des textes qu’il lira lui-même. L’anticipation favorise la compréhension et joue un rôle important dans l’acte de lire.” Lire à 3 ans, p.43

Partie 2 – Offrir des mots à chaque enfant

L’enseignant donne un mot écrit à l’enfant. Les premiers mots sont souvent le prénom, maman, papa. Il est important, au départ, de ritualiser 10 minutes dans la journée consacrées à donner un mot à 5 ou 6 enfants. Une fois l’habitude prise, les enfants sauront qu’ils peuvent demander un mot.

C’est un moment privilégié entre l’enfant et l’adulte, en tête à tête. L’enseignant écrit le mot devant l’enfIMG_6723ant: soit un mot chargé affectivement, soit un mot que l’enfant demande. C’est un moment très court et joyeux. L’ « attitude cadeau » de l’enseignant contribue à l’enthousiasme de l’enfant: il offre un mot, sans insister ni épeler. C’est un cadeau.

 

Les mots sont écrits sur des bandes de papier blanc épais, en script, au feutre noir, “aussi grand et épais qu’on le lui aurait articulé distinctement et fort.”

L’adulte prend le temps de jouer avec l’enfant et ses mots en suivant les principes suivants :

  • deux minutes pour ne pas lasser
  • seulement si l’enfant s’y intéresse et prend plaisir à jouer
  • sans interroger l’enfant
  • mettre l’enfant en réussite : “ce n’est pas la motivation qui entraîne la réussite, mais l’inverse !”

Au début, l’enfant mémorise visuellement le mot en prenant uniquement un ou des repères visuels (initiale, accent, trace sur le papier…). Puis les correspondances lettre(s)/son remplacent peu à peu les premiers repères visuels que prenaient l’enfant.
A ce stade, on peut donner plusieurs mots en même temps à un même enfant. Plus il connaît de correspondances, plus il mémorise ses mots facilement.

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Pochette murale pour la classe
Photo extraite du livre Entrer dans l’écrit en maternelle

Partie 3 – Accompagner les remarques des enfants

Grâce à la mémorisation de ses premiers mots, l’enfant commence à percevoir des analogies visuelles entre les mots. “Mamie, c’est comme maman.” Il fait le lien entre les mots qu’on lui donne et ce qu’il sait déjà. Au début, il remarque des similitudes en début ou en fin de mot, rarement au milieu.

Il reconnaît une lettre

Les voyelles qui chantent
Les consonnes qui font un bruit qu’on peut prolonger: fff, mmm, rrr, sss, vvv
Les consonnes qui font un bruit court: p’, t’, b’, k’, g’ (de gâteau) et non pas re, pe, fe, be

Quand un enfant fait une analogie visuelle entre deux mots (“Fourmi, c’est comme fantôme.”):

  • rechercher ensemble d’autres mots comparables
  • placer les étiquettes-mots les unes sous les autres
  • demander où c’est pareil
  • prolonger le son de la lettre: fffourmi, fffantôme
  • demander de fermer les yeux et d’écouter la lettre qui fait fff
  • créer une affiche avec la lettre découverte et les mots associés (une même graphie pour un même son)
  • les jours qui suivent, porter l’attention des enfants sur des mots qui commencent par cette lettre et proposer de très courtes activités pour mémoriser la correspondance lettre/son
  • l’affiche créée deviendra ensuite une page de répertoire ou un abécédaire.

répertoire.001

Il reconnaît une suite de lettres

Les suites de lettres : ma, ch, ou, ette…

Quand un enfant fait une analogie visuelle entre deux mots (“Cadeau, c’est comme gâteau.”):

  1. Placer les étiquettes l’une sous l’autre (ou écrire les mots l’un sous l’autre) pour faciliter l’identification par tous de cette suite de lettres (“eau”).
  2. Souligner la suite des lettres (ne pas écrire d’une autre couleur pour ne pas déformer l’image visuelle du mot qui le rendrait plus difficile à reconnaître).
  3. Chercher d’autres mots contenant cette graphie parmi les mots collectifs et personnels.
  4. Quand des mots sont proposés sans le support de l’étiquette:
    1. En PS, on écrit le mot uniquement si la graphie correspond à la maison qui est en train d’être construite pour ne pas surcharger les enfants.
    2. En MS et GS, on écrit tous les mots et on voit si c’est la même graphie ou pas.
  5. Créer une affiche “maison” :
    1. une maison = un son = une même suite de lettre
    2. choisir un mot-clé par maison
    3. 5 ou 6 mots par maison
  6. Jouer avec les mots pour mémoriser la correspondance graphie/son et le mot-clé de la maison

maison ma.001

Les maisons, tout comme les pages de répertoire, sont construites en fonction des remarques des enfants, sans progression pré-établie à l’avance.

Classer les mots permet à tous de percevoir une analogie graphique qui conduit à la découverte d’une analogie sonore.” Entrer dans l’écrit, p.34

Il remarque un son

Lorsqu’un enfant fait une analogie auditive (“Chaussette, c’est comme poussette.”), Françoise Boulanger recommande d’écrire tout de suite les deux mots pour que l’enfant se rende compte que c’est aussi une analogie visuelle.

La démarche peut ensuite être la même que celle décrite pour l’identification d’une lettre ou d’une suite de lettres.

Les enfants ont besoin de plusieurs exemples pour comprendre qu’une lettre ou une suite de lettres correspond à un son.

Partie 4 – Les premières phrases

Quand l’enfant a mémorisé une vingtaine de mots, voire moins s’il a 5 ans, l’enseignant introduit le premier verbe: joue, aime, mange… L’enfant sera le sujet de ses premières phrases. Par la suite, il pourra jouer à remplacer le sujet par maman, papa ou des prénoms de la classe. La phrase est lue en montrant chaque mot du doigt et fait l’objet de courtes activités de mémorisation.

phrase.001

Les déterminants et les petits mots de liaison sont introduits quand on en a besoin pour construire une phrase (le, la, et, avec…). 
De même, le pluriel est introduit quand l’occasion se présente. Le mot au pluriel sera écrit sur une autre étiquette.

La phrase peut être conservée dans le cahier de l’enfant: une phrase par page que l’enfant aura recomposée avec des étiquettes et qu’il pourra illustrer.

Des phrases sont également construites collectivement et font l’objet de livrets en fonction des projets de la classe.

Partie 5 – Découvrir la syllabe

En parallèle de la construction de pages de répertoires et des maisons, les enfants apprennent à couper des mots qu’ils connaissent en syllabes.

Ils les coupent à l’oral et à l’écrit. En effet, afin de faire correspondre l’oral et l’écrit, l’enseignant puis les enfants coupent les mots en syllabes avec des ciseaux ! Il s’agit ensuite de reformer les mots avec les syllabes.

couper syllabes.001

Des syllabes font aussi l’objet de maisons, les syllabes initiales étant facilement repérable par les enfants.

Ces activités permettent de visualiser les syllabes, ce qui aidera l’enfant à les repérer quand il voudra déchiffrer et écrire.

Partie 6 – Comprendre le principe de la fusion consonne/voyelle pour lire un mot inconnu

Un enfant qui connaît le son de la lettre vvv et de celui de la lettre i n’est pas forcément capable de les assembler pour faire vi. Cette compétence s’acquiert généralement en début de CP.

“Pour comprendre que b + a = ba, il faut que l’enfant ait pu découvrir:

  • la correspondance lettre/son du b (grâce à bateau, bébé, ballon…);
  • la correspondance lettre/son du a (grâce à banane, arbre, Natacha…),

mais aussi, afin de pouvoir accéder à la fusion consonne-voyelle ba, qu’il ait rencontré:

  • d’une part: ballon, biberon, bébé, botte, bulle (même consonne, voyelles différentes);
  • d’autre part: ballon, cadeau, lapin, maman, papa, sapin… (consonnes différentes, même voyelle).” Lire à 3 ans, p.137/138

Former des syllabes

Pré-requis: connaître le son de plusieurs consonnes, connaître le son des voyelles, avoir remarqué quelques sons comme on, eau, in.

Une consonne, plusieurs voyelles: Avec des lettres mobiles:

  1. Placer les
    voyelles en colonne
  2. Déplacer une consonne connue de l’enfant (une consonne qui se prolonge: m, p…) devant chaque voyelle
  3. Lire la syllabe et la comparer avec un mot qu’il connaît
  4. Proposer à l’enfant de le faire

Une voyelle, plusieurs consonnes : Puis proposer la même activité mais, cette fois, ce sont les voyelles que l’on déplace.

syllabe voyelle+consonne.001

 

Des mots : Lire des séries de mots dont on change uniquement la première consonne.

Avec suffisamment d’exemples, l’enfant pourra généraliser le concept de fusion aux futures syllabes qu’il rencontrera.

Un tableau à double entrée

Un tableau à double entrée peut être créé avec le groupe classe. Les lettres « qui chantent » connues des enfants en ligne et les consonnes « qui font un bruit », également connues des enfants, en colonne. Les syllabes sont écrites et lues tous ensemble. Puis chaque enfant a une syllabe qu’il vient placer dans le tableau. Ne pas tout faire en une séance !tableau syllabe.001

Déchiffrer

Quand l’enfant a compris la fusion, l’enseignant lui donne des petits messages avec un seul mot inconnu qu’il devra déchiffrer.

Lire, c’est comprendre

Lire ne se limite pas à déchiffrer. Lire, c’est comprendre le message d’un autre.

Avec les enfants qui déchiffrent, il s’agit ensuite de lire et relire des textes qui les intéressent pour développer la reconnaissance instantanée et la fluidité qui faciliteront la compréhension. Par exemple:

  • L’enfant lit la première phrase du livre et l’adulte la suite. Quand il sera plus à l’aise, il lira la première phrase de chaque page.
  • Il peut lire seul de petits livres à d’autres enfants.

 

enfant lit

“Une des clés du succès est de varier l’approche, les activités, les moments et les supports.”
Lire à 3 ans,p.156

L’objectif de cette démarche n’est pas d’apprendre aux enfants à lire avant 6 ans. L’intention est d’accompagner les enfants dans leurs découvertes. Certains liront avant l’entrée au CP, d’autres non.

Dans son livre “Entrer dans l’écrit en maternelle”, vous trouverez de nombreuses activités, des supports prêts à l’emploi, des conseils pour informer les parents, des explications très concrètes pour créer les outils, etc. Une mine d’or pour se lancer facilement.

Dans son livre “Lire à 3 ans, c’est tout naturel”, on comprend bien les fondements de la démarche et la posture de l’adulte qui accompagne. C’est pourquoi, même s’il s’adresse aux parents, je le recommande également pour les enseignants.

Vous pouvez aussi contacter l’association qui accompagnent les enseignants : Le bonheur de lire.

Pour compléter: le carnet de piscine

6 réflexions sur « Pourquoi attendre 6 ans pour apprendre à lire ? »

  1. Génial ! il y a tt ce que je pratique avec mes moyens-Grands !
    Et tt est résumé et organisé ! Et je confirme: ça marche !

  2. Comme il est rassurant de lire que ce que nous pratiquons de manière intuitive est une démarche sensée!
    Cet article va me permettre de continuer sur cette voie et d’améliorer ma pratique .

  3. Je suis maitresse de la sil( classe d’initiation, à la lecture ). J’ai vraiment apprécié. Je voudrais m’édifier sur la lecture de cette classe

  4. Quand on regarde le passé, beaucoup de choses paraissent bien meilleures. Nous ne pouvons pas faire entièrement confiance aux mémoires : elles nous donnent systématiquement des jugements erronés.

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