Accueillir les émotions des enfants : condition pour un développement harmonieux

Colère

« Au fil du cycle, l’enseignant développe la capacité des enfants à identifier, exprimer verbalement leurs émotions et leurs sentiments. » Voilà ce qu’on peut lire dans le programme de l’école maternelle (2015).
Cela ne se résume pas à enseigner le lexique des émotions. Ce n’est pas qu’une leçon de vocabulaire.

C’est d’abord une posture de l’enseignant : bienveillante, accueillante, de chaque instant.
Les émotions sont biologiques, elles jouent un rôle dans notre vie physique et psychique. A quoi servent-elles ? Pourquoi les laisser s’exprimer ? Comment réagir face à ses propres émotions et celles des élèves ? Il est important d’être au clair avec ces questions pour accompagner les jeunes enfants dans la découverte de leurs propres émotions.

Aujourd’hui, il est reconnu que l’intelligence est multiple et qu’une de ses composantes est émotionnelle. L’intelligence émotionnelle regroupe un ensemble de capacités, intra et interpersonnelles, à encourager dès la maternelle pour permettre aux enfants de grandir en harmonie avec eux-mêmes et les autres.

L’enjeu est de taille !

Je me suis appuyée sur les travaux passionnants d’Isabelle Filliozat pour écrire cet article. Cette femme est psychothérapeute, auteure, conférencière et a créé la formation « Grammaire des émotions ». J’apprends toujours énormément en lisant ses livres et en écoutant ses vidéos. Ce que je vous recommande vivement ! Les références plus précises sont à la fin de l’article.

A quoi servent les émotions ?

Ce sont des réactions physiologiques déclenchées par une stimulation.

Émotions

Stimuli

Exemples de sensations corporelles

Peur

Danger, inconnu, contrainte

Accélération du rythme cardiaque, mains moites, sensation de froid, estomac noué

Colère

Frustration, injustice, blessure

Forte accélération du rythme cardiaque, sensation de chaleur, poings et mâchoire serrés

Rage

Impuissance

Tristesse

Perte de quelqu’un, de quelque chose, déception

Baisse du tonus, serrement au niveau de la poitrine, pleurs, crispation

Douleur

Séparation

Amour

Lien

Dégoût

Nocivité

Joie

Réussite, rencontre, amour, communion, adéquation avec ses valeurs

Respiration profonde, chaleur dans la poitrine

Ce sont nos sensations corporelles qui nous renseignent sur la nature de l’émotion. Elles indiquent que le corps se prépare à agir.

Face à une situation, notre corps réagit pour nous permettre d’y faire face.

  • La peur nous protège face à un danger.
  • Les larmes de tristesse nous soulagent des événements qui nous affectent et nous permettent d’accepter la réalité.
  • La colère est une réaction à la frustration d’un besoin. Elle permet de préserver ses droits, son espace, son intégrité.
  • Le dégoût peut aller jusqu’au vomissement pour rejeter ce qui est nocif ou nous a sali.
  • L’amour nous relie à autrui.
  • La joie nous dynamise. Elle se partage !

Une émotion s’exprime en trois étapes.

Le mot « émotion » vient de « é » = vers l’extérieur et de « motion » = mouvement.
L’expression d’une émotion sert à nous libérer, à nous ré-équilibrer, à expulser nos tensions.

Elle dure quelques minutes et se caractérise par trois étapes :

  • 1ère étape : l’émotion est déclenchée par la perception d’un stimulus. Certaines hormones sont libérées.
  • 2ème étape : le corps se met en tension, ce qui donne de l’énergie pour agir. Notre émotion guide notre corps pour produire une réponse adaptée.
  • 3ème étape : le corps se décharge de la pression accumulée pour retrouver son équilibre. C’est le cas d’une personne qui va pleurer ou trembler après avoir vécu une peur intense.

Émotions saines et sentiments parasites

Le sentiment naît d’une émotion ou d’un mélange d’émotions. Contrairement à l’émotion qui est une information transmise par le corps, un sentiment est une construction mentale.Il est plus durable car il persiste en l’absence de stimulus.
Exemples de sentiments : l’amour, la haine, la culpabilité, la jalousie…

L’émotion saine est utile à exprimer. En revanche, il est arrive qu’elle soit disproportionnée ou inadaptée à la situation. Cette réaction, ou ce sentiment, est liée à une interprétation de la réalité. Inconsciemment, la situation nous renvoie à une émotion non exprimée dans un passé proche ou lointain.

Selon Isabelle Filliozat : « Pour se libérer d’une émotion désagréable, à condition qu’elle soit authentique, il suffit de l’exprimer. Pour se libérer d’un sentiment douloureux, il est nécessaire de démêler les nœuds émotionnels et de décoder les affects sous-jacents. Seuls ces derniers sont à exprimer physiquement. »

Une vie émotionnelle intense pendant l’enfance

Le jeune enfant n’a pas encore construit les compétences mentales qui lui permettront par la suite de gérer ses émotions.

Isabelle Filliozat l’explique très bien :

« Son cerveau en maturation ne fournit pas encore à l’enfant les outils mentaux qui lui permettront plus tard de maîtriser ses émois. Petit, il ne sait pas encore faire des hypothèses, des déductions logiques, se décentrer de son point de vue, prendre des distances ou se projeter dans le futur. »

Par exemple, avant 2 ans, il n’a pas encore la capacité de se représenter des personnes absentes. Ce qui rend la séparation difficile car il ne peut pas garder en tête l’image de sa maman ni se projeter dans un futur proche où elle reviendra le chercher. La séparation peut donc être douloureuse.

La réponse émotionnelle du tout jeune enfant est immédiate car le développement de sa pensée ne lui permet pas de relativiser les choses. Il a besoin d’une aide pour comprendre ce qui lui arrive et comment en sortir.

Il peut se sentir impuissant car il n’a pas encore acquis la maîtrise corporelle nécessaire à faire ce qu’il veut. Il est encore dépendant de l’adulte pour nombre de choses. Tout cela crée des frustrations qui génèrent de la colère et de la rage.

Permettre l’expression des émotions

Les émotions, et surtout leur expression, peuvent déranger : des hurlements et des coups pour exprimer une colère, des pleurs pour exprimer une déception, des cris pour exprimer de la joie…

Ces réactions peuvent gêner la tranquillité du parent ou de l’enseignant et l’image qu’il veut renvoyer. Il est alors tenté de freiner voire d’empêcher l’expression des émotions par des stratégies diverses : donner ce que l’enfant veut (même s’il n’est pas d’accord), faire du chantage, contraindre, menacer…

Or lorsqu’on connaît le rôle et l’importance de l’expression des émotions, on les accepte et on les accueille plus facilement. On peut adopter une posture bienveillante pour permettre un développement harmonieux des enfants.

colère bienveillance

Les émotions sont à notre service : elles ne doivent pas être niées.

Sophie Bouquet-Rabhi, enseignante, écrit dans son livre sur la pédagogie de la bienveillance :

« Lorsque nous sommes éduqués à refouler ou nier nos émotions, elles deviennent pathologiques : la peur devient obsessionnelle ou paralysante, l’agressivité devient violence, et la tristesse nous accapare sous la forme de déprime et de dépression.»

Un enfant tombe et pleure… « Ce n’est rien », « Ce n’est pas grave », « Arrête de pleurer »…
L’adulte qui réagit de la sorte nie l’émotion de l’enfant (la peur ou la douleur par exemple). Cet enfant pense ensuite qu’il n’est pas capable de comprendre ce qui se passe en lui : ses sensations corporelles qui devraient le renseigner. Cela peut entraîner une baisse de l’estime de lui-même, de la soumission ou au contraire de la rébellion.

L’empêcher de pleure, c’est l’empêcher de décharger son émotion. L’enfant la refoule mais elle ressortira plus tard.

«Les émotions sont à la racine du sentiment de soi, de la conscience de soi.» Isabelle Filliozat

Quand une émotion est niée, dévalorisée, considérée comme anormale, l’enfant n’arrive plus à faire le lien entre l’événement extérieur et son ressenti intérieur.

Respecter les émotions d’un enfant, c’est lui permettre de sentir qui il est, de prendre conscience de lui-même ici et maintenant. C’est le placer en position de sujet. C’est l’autoriser à être différent de nous. C’est le considérer comme une personne et non comme un objet.

En lui disant ce qui se passe pour lui, l’enfant se sent entendu et compris. Il se comprend ainsi lui-même. Cela l’aide aussi à passer à autre chose.

Comprendre ses émotions, c’est aussi mieux comprendre celles des autres.

Développer son intelligence émotionnelle, c’est d’une part savoir identifier et gérer ses émotions pour les utiliser positivement et, d’autre part, comprendre celles des autres pour pouvoir vivre et créer des relations harmonieuses.

La conscience de soi et de ses émotions est une première étape avant de pouvoir se tourner vers l’autre. L’enfant est centré sur lui-même car il a beaucoup à apprendre sur ce qu’il ressent, sur ce qui se passe dans son corps et dans sa tête et comment gérer tout cela.

Cette connaissance et cette maîtrise des émotions lui permettront par la suite de pouvoir comprendre ce que l’autre peut vivre et ressentir.

Lorsqu’un enfant ne possède pas les capacités émotionnelles d’identifier, d’exprimer et de maîtriser ses émotions, il risque d’avoir des difficultés à entretenir des relations constructives avec les autres. Il aura, par exemple, plus facilement recours à l’agressivité pour se faire comprendre ou bien il se repliera sur lui-même par peur d’extérioriser les émotions négatives qui l’habitent.

Comment accueillir les émotions des enfants ?

Travailler sur soi

Soyons au clair avec nous-même

Par ses pleurs et ses colères, l’enfant réveille en nous des émotions refoulées qui s’expriment alors de manière disproportionnée et inadaptée.
Pour Sophie Bouquet-Rabhi, une posture de l’adulte bienveillante passe par un travail sur soi afin d’identifier nos émotions refoulées et de résoudre les nœuds émotionnels qui nous font réagir de manière impulsive.

Mieux se connaître permet de pouvoir, dans l’instant, accueillir les émotions de l’enfant avec sérénité. En reconnaissant, par exemple, qu’on est sous stress, on peut alors respirer et se recentrer pour agir avec bienveillance ou, si nécessaire, prendre de la distance et y revenir plus tard.

Soyons ce que nous voulons qu’ils deviennent

Si l’adulte est à l’écoute, communique de manière bienveillante et exprime positivement ses émotions, l’enfant enregistrera cette attitude et aura davantage de chances de l’adopter.

Dans son livre « Au cœur des émotions de l’enfant », Isabelle Filliozat souligne l’importance de ce point:

« Il est urgent d’apprendre à identifier, à nommer, à comprendre, à exprimer, à utiliser positivement les émotions, sous peine d’en devenir esclaves, pour le bonheur de nos enfants et des adultes qu’ils deviendront. »

Accompagner l’enfant dans son défoulement émotionnel

Une émotion s’exprime en trois temps, comme expliqué précédemment.
Le troisième temps est celui de la décharge de la tension accumulée.
Or, bien souvent, les enfants gardent ces tensions (il en est de même pour les adultes).

Comment les libérer ?

  • Encouragez l’enfant à libérer une tension lors d’une émotion « vraie ».
    Pour la peur : crier dos contre un mur, pleurer, faire une bataille d’oreillers…
    Pour la colère : taper des pieds, taper un oreiller, taper avec une batte en mousse…
    Pour la tristesse : pleurer
    Pour la joie : rire, courir, sauter…
  • Invitez ensuite l’enfant à respirer profondément. S’il y arrive, c’est qu’il a évacué la tension. Sinon, il a peut-être besoin d’une écoute empathique de votre part.
  • Lors d’une crise de colère, de rage chez le jeune enfant, il peut être surpris, effrayé par ce qu’il ressent, ce qu’il vit. Il est alors nécessaire de le rassurer et de nommer ce qu’il ressent.

Dans la cour de l’école de Sophie Bouquet-Rabhi, il existe « la cabane de la colère ». C’est un défouloir tapissé de matelas et dans lequel se trouve des coussins et un punching-ball.

Ecouter de manière empathique

Lorsqu’un enfant s’énerve, pleure, on veut tout de suite le consoler, le calmer, lui apporter des solutions, lui faire changer d’état. On agit en pensant bien faire, de notre point de vue, et non en fonction de ce que l’autre a vraiment besoin.
Or, il existe une autre posture de réelle écoute qui peut s’avérer plus apaisante et plus constructive. C’est l’écoute empathique.

En Communication Non Violente, se montrer en empathie, c’est écouter en se mettant en lien avec les sentiments et les besoins de l’autre. C’est lui offrir une occasion de les explorer à fond et de mieux les comprendre.

Je vous invite à lire l’article sur l’écoute empathique en Communication Non Violente pour approfondir ce sujet.

Décoder

« Ce qu’il ne sait pas vous dire par des mots, il l’exprimera par des symptômes. » Isabelle Filliozat

Lorsqu’une émotion semble inadaptée ou disproportionnée à la situation, il s’agit de la décoder en cherchant ce qui se cache derrière.

Accueillir n’est pas tout accepter

Accueillir la colère d’un enfant, c’est lui permettre de l’exprimer puis d’identifier ce qu’il ressent. C’est ensuite l’amener à gérer sa frustration en lui expliquant la situation.
S’il fait une colère pour obtenir un jouet déjà utilisé par un autre enfant, il ne s’agit pas de lui donner dans l’instant même ce qu’il veut mais plutôt de l’aider à comprendre son émotion, à l’exprimer positivement et à trouver une sortie constructive pour tout le monde (autre jouet, prêt à la fin du chrono…).

Comment leur apprendre à comprendre ce qui se passe en eux ?

5 étapes

L’éducation émotionnelle peut se réaliser, suivant 5 étapes :

  1. Associer ses sensations à une émotion.
  2. Identifier clairement son émotion.
    La nommer, c’est prendre de la distance par rapport à elle. Mettre des mots aide à comprendre ce qui passe, à donner du sens. On ne se laisse plus diriger inconsciemment.
  3. Identifier la cause, ce qui a déclenché l’émotion.
    Parfois, la cause est plus lointaine.
  4. Comprendre les émotions de l’autre.
    Cela est possible quand on comprend les siennes. Cette étape permet d’accepter l’autre comme il est, de ne pas prendre pour soi les réactions émotives de l’autre.
  5. Comprendre que notre comportement peut déclencher des réactions chez l’autre.
    Le comprendre, c’est pouvoir reconnaître notre responsabilité et agir en fonction.

En maternelle, la notion de point de vue n’est pas encore construite. Il est encore difficile pour les jeunes élèves de se décentrer. Les étapes 4 et 5 sont à verbaliser auprès des enfants mais ne sont pas à viser comme objectifs.

Le langage au quotidien

Le développement de l’intelligence émotionnelle repose sur deux points-clés : l’écoute de la parole de l’enfant et l’attitude bienveillante de l’adulte.

C’est un apprentissage quotidien qui repose sur l’écoute et la , « à chaud », pour expliciter ce qui est vécu et ressenti par l’enfant mais aussi par l’adulte.

Des situations d’échanges

En classe, des temps de parole peuvent être organisés pour apprendre à mettre des mots sur des émotions et prendre conscience de ce que vivent et pensent les autres.

Des supports peuvent déclenchés la réflexion :

  • des livres qui permettent à la fois une identification et une mise à distance
  • des œuvres d’art
  • une situation vécue
  • une phrase-clé, à la manière d’une discussion à visée philosophique
    « Qu’est-ce qui se passe dans mon corps et dans ma tête quand… ? »

Conclusion :

Éduquer avec bienveillance, cela passe par l’accueil des émotions. Accueillir l’enfant comme il est. Il s’épanouira sans peur, sans refoulement. Il sera bien dans sa tête, bien dans son corps, bien avec les autres.

Les parents jouent bien sûr un rôle premier. Cependant, l’école est aussi responsable du développement de l’intelligence émotionnelle. C’est un lieu où les émotions sont mises à l’épreuve. C’est une co-éducation à mettre en œuvre pour permettre le développement harmonieux des enfants.

Sources :

– Que se passe-t-il en moi ? Isabelle Filliozat

– Au coeur des émotions de l’enfant, Isabelle Filliozat

– J’ai tout essayé, Isabelle Filliozat

– La ferme des enfants, une pédagogie de la bienveillance, Sophie Bouquet-Rabhi

7 réflexions sur « Accueillir les émotions des enfants : condition pour un développement harmonieux »

  1. bonsoir,
    Je voudrais savoir si vous pouvez me conseiller des écrits ou un support théorique ou je puisse développer ce sujet. « Par exemple, avant 2 ans, il n’a pas encore la capacité de se représenter des personnes absentes. Ce qui rend la séparation difficile car il ne peut pas garder en tête l’image de sa maman ni se projeter dans un futur proche où elle reviendra le chercher. La séparation peut donc être douloureuse.
    Je vous remercie.

    1. Bonjour,
      Je vous recommande les livres d’Isabelle Filliozat, en particulier « Au coeur des émotions de l’enfant » et « J’ai tout essayé ».
      Bonne lecture

  2. Il y a du professionnalisme dans vos écris.
    Les enfants sont sensibles aux renforcements socioaffectif et apprennent mieux par ces renforcements. Par contre, les stress leur créent des cas d’allergie et perturbent leur apprentissage

  3. Super intéressant !
    Je ne suis pas dans l’éducation mais j’ai fait une psychothérapie qui m’a aidé à exprimer mes émotions. Et c’est vital !!! Merci !

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